La Belle Enchantée, le 16e album studio des Tri Yann, vogue sur le thème des contes et des légendes de Bretagne et plus généralement des pays celtes. Au-delà des arrangements folk et rock, qui ont fait leur marque de fabrique, les Bretons de Nantes nous emmènent sur douze titres dont 11 compositions vers d’autres tendances musicales plus ancrées dans le 21e siècle…Interview à trois voix avec les figures de proue de la musique bretonne, avant leur concert parisien de l’Alhambra les 4 et 5 octobre prochains.


A la sortie de l’album en mai dernier, la pochette de « La Belle Enchantée » avait subi la censure de la part des plateformes de téléchargement, pouvez-vous nous en dire plus ? 
Jean-Louis Jossic :
Effectivement, c’est toujours un peu surprenant. Un peu après la sortie de l’album, la maison de disque digitale Believe nous a priés de rhabiller d’un costume de bain rayé  La Belle enchantée qui apparaissait dénudée de dos sur la pochette, craignant une censure pudibonde des plateformes de téléchargement américaines, dont iTunes. Nous avions en effet choisi un dessin  du peintre et sculpteur français Georges Lacombe (1868-1916) représentant un couple allongé. Ainsi est épargné à la vue du public sur Internet le «gribouillis pornographique» d’un compagnon de Gauguin à Pont Aven». Les autres pourront se rincer l’œil en achetant l’album chez leur bon vieux disquaire…

Comment nait un album des Tri Yann ?
Jean-Paul Corbineau :
Les mélodies sélectionnées donnent souvent  à Jean-Louis l’idée du texte qu’il va écrire et plus généralement l’ambiance qu’il va donner à la chanson. C’est là qu’interviennent dans le groupe ceux qui sont doués pour les arrangements. Le plus étonnant lorsque l’on écoute la musique de Tri Yann, c’est que nous entendons naturellement des mélodies bretonnes ou celtes alors que c’est nous qui les avons pour la plupart composées.
Jean Chocun :
A travers nos disques, nous essayons de préparer des programmes pour la scène qui se suivent depuis 45 ans. Nous nous sommes donc mis au boulot et chacun a apporté ses idées. Au final, le thème qui s’est détaché portait plutôt sur les légendes, mais sans que cela soit complètement déterminé.  Ensuite, chacun a apporté sa pierre à l’édifice, c’est-à-dire ses mélodies. Et nous avons fait comme à chaque fois, un tri entre 50 ou 60 idées, des uns et des autres. Les idées musicales entrainent ensuite des images pour les paroles. Une fois que les paroles sont plus ou moins ébauchées, que le thème est plus ou moins décidé, cela redonne d’autres idées pour faire d’autres mélodies. Tout cela se secoue et finit par se mettre en place au bout d’un certain temps. Cela n’exclut pas qu’un titre qui ait été bossé pendant des semaines ou des mois soit au bout du compte éliminé ou qu’un autre arrive au dernier moment.  

Pourquoi ce titre « La Belle enchantée » ?
Jean-Louis Jossic : En fait, ce n’était pas le titre qui était prévu au départ. Nous voulions appeler cet album la  « Femme squelette » qui s’inspire d’un conte inuit. Jean (Chocun) m’a fait remarquer que la femme squelette n’était peut-être pas très vendeur et en fin de compte plutôt triste. Cela faisait un peu anorexique. Je voulais tout de même qu’il reste une trace de la femme squelette. Le morceau s’appelle donc La Belle enchantée ou la Femme squelette.

Contes et légendes de Bretagne, mais aussi de tous les pays celtiques. La notion d’Interceltisme est-elle toujours aussi importante pour vous ?
Jean-Louis Jossic :
Je tiens d’abord à préciser que nous ne sommes pas du tout nationalistes. Nous ne pensons pas qu’il faille se refermer sur une Bretagne qui va partir. Nous ne sommes pas non plus panceltistes, dans la mesure où nous ne croyons pas que le monde celte formera dans un futur proche un même et  grand pays. Par contre, nous pensons qu’il y a un cousinage entre les pays celtes. Dans les paysages, la façon de vivre, le comportement face aux événements. Dans tous les pays celtiques, il y a cette espèce d’envie de vivre au même diapason. Cela se voit notamment dans les couleurs vives des maisons de la région de Carhaix ou de Spezet où des pubs ont remplacé des bistrots de vieux. Ce sont nos cousins d’Irlande qui nous ont inspiré cela.   En creusant bien, nous constatons que nous avons les mêmes mythologies, les mêmes légendes, les mêmes contes, avec des façons de les aborder différentes. Les Irlandais seront plus mystérieux, plus difficiles à comprendre. Les Bretons seront plus premier degré. La première fois que j’ai mis les pieds au Pays de Galles, je me suis dit c’est la plage du Ris à Douarnenez, les rochers, ce sont les Monts d’Arrée. Nous avons vraiment le sentiment d’appartenir à un même et vaste continent celtique dans lequel nous retenons plus la dimension poétique que politique.

Le voyage et les découvertes sont également très présents avec notamment votre titre Les Six couleurs du monde ?  
Jean-Louis Jossic :
La première fois que j’ai été profondément touché par la notion d’ailleurs et de voyage, c’est lors de ma rencontre avec le journaliste Morvan Lebesque qui avait écrit dans les années soixante-dix un ouvrage fondateur  intitulé « Comment peut-on être breton ? ». Lors d’une dédicace du côté de Nantes, il m’a expliqué que l’une des caractéristiques du peuple celte est d’être profondément voyageur, mais tellement attaché à sa terre, qu’il faut qu’à un moment ou un autre il revienne au pays. Paradoxalement, ce phénomène pousse les Celtes à ne pas être des voyageurs du réel, mais très souvent des voyageurs de l’imaginaire. Morvan Lebesque me citait alors Chateaubriand ou Jules Verne qui faisait des voyages dans les revues scientifiques. A côté de cela, il y a des Tabarly, Kersauson ou Desjoyeaux…

Sur les 12 titres, vous signez 11 compositions qui s’inspirent de la matière de Bretagne ou des légendes des différents pays celtiques. La création est-elle aussi importante pour vous que la scène ?
Jean Chocun :
C’est une évidence parce que les deux sont liées. Nous avons besoin sur scène d’un équilibre. En fonction de cela, nous essayons de faire des choix entre des danses, des mélodies et des ambiances. Tout cela fait partie du cahier des charges lorsque nous composons quelque chose. Il n’y a sur cet album qu’un seul titre traditionnel qui est issu du Barzaz Breiz (Sant Efflam hag ar Roué Arzur-Saint Efflam et le roi Arthur).  Nous nous sommes rendu compte que personne ne l’avait jamais utilisé, sauf Paul Lamirault sur un autre thème plus religieux. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’adaptation de ce titre qui fait appel aux deux voix féminines de Kohann et Clarisse Lavanant ? 
Jean-Louis Jossic :
Sant Efflam fait 37 couplets. Paul Lamirault en avait retenu quatre qui sont plutôt des couplets religieux et qui personnellement ne me plaisaient pas beaucoup parce que je trouve que l’histoire de Saint Efflam craint très fort ! C’est un ermite en Irlande qui rencontre une princesse très belle et qui décide de l’épouser. La nuit de noce se passe et il abandonne la fille. Le lendemain, ils se retrouvent et il décide de son propre chef de devenir moine.  Mais il est très gentil. Il dit à la fille si tu veux, tu peux venir avec moi au convent et on partira tous les deux vers le bon Jésus. J’ai trouvé cette histoire assez craignos, très chrétien vieille tendance. A côté de cela, il y a à la fin de ce chant un combat. Saint Efflam, lorsqu’il est devenu un Saint revient dans la petite Bretagne. Il débarque à Lannion et voit le roi Arthur qui est en train de foutre une tannée à des dragons qui emmerdent le pays. Et là, il fait un miracle. Il tape avec sa crosse sur un rocher, jaillit une fontaine miraculeuse ou de la bière on ne sait pas trop…Le roi Arthur boit son bock, repart au combat et tue les dragons. Nous avons trouvé que ce passage-là était beaucoup plus intéressant, surtout sur une musique de cantique. L’arrangement de Lamirault est très beau. Nous en avons un chant choral à quatre voix mixtes. Nous avons voulu le faire avec Kohann et Clarisse Lavanant pour justement avoir des voix de femmes avec des tessitures que nous ne sommes pas capables de faire.

Vous fêtez cette année vos 45 ans de carrière, ce qui est un record pour un groupe français. Quel est le secret de votre longévité ?
Jean-Paul Corbineau :
Le secret tient certainement au fait que nous sommes avant tout trois potes. Je chantais déjà avec Jean (Chocun)  avant que nous rencontrions Jean-Louis (Jossic) qui faisait du théâtre. Nous sommes des amis, donc forcément, on se connait bien et cela facilite les choses pour passer au-dessus des difficultés. Nous savons aussi jusqu’où il ne faut pas trop aller. Il y a également une autre raison, c’est notre passion commune pour la scène et la rencontre. Tri Yann n’existerait pas sans la scène. Le public dit d’ailleurs, on a vu les Tri Yann avant même de dire, on les a entendus. Nous avons aussi la chance d’avoir encore des idées et d’être en bonne santé : pourvu que cela dure !

Les 4 et 5 octobre 2016, vous fêterez les 45 ans de Tri Yann, à L’Alhambra  à Paris. Qu’avez-vous concocté pour votre public, les « Trianautes » ?
Jean-Louis Jossic
 : C’est vrai que notre public s’appelle comme cela, ce qui est plutôt joli…Notre  album s’intéresse aux légendes, aux contes, et par conséquent aux veillées. Dans nos spectacles, nous invitons désormais  le public à monter sur la scène. Nous essayons d’apporter l’esprit de la veillée, non plus à dix devant la cheminée, mais à 500, 1000 ou 2000 personnes dans les décibels. L’origine de tout cela pour moi, c’est un concert de Joan Baez à l’Olympia en 1973. La scène était pleine de comme un œuf. C’était tellement bondé qu’ils ont mis 150 personnes sur scène autour d’elle. C’était admirable.

Que pensez-vous de l’évolution de la scène musicale bretonne ?
Jean-Louis Jossic : Ce qui pour moi importe plus que l’ancienne ou la nouvelle scène bretonne, c’est le fait de valoriser, quelles que soient les générations, ce qui auparavant ne l’était pas. Pendant longtemps, le bagad en Bretagne a été considéré comme la formation musicale naturelle et classique. Les jours de kermesse, il y avait toujours un cercle celtique et un bagad. Avant tu jouais à fond la Marche de Cadoudal dans le cadre de la veille tradition bretonne. Ce n’est plus vrai. Le Bagad est devenu aujourd’hui beaucoup plus inventif que le Pipe Band écossais. Les Ecossais sont patrimoniaux, le bagad crée. Il a inventé de nouveaux instruments comme les bombardes beaucoup plus basses mais aussi des cornemuses dans des tons différents. Il invente des nouveaux airs et des arrangements fantastiques. Nous avons envie de jouer par exemple avec le bagad de Saint-Nazaire. Pour nous, la scène bretonne ce sont des artistes, parfois un peu plus repérés que les autres qui en profitent pour faire découvrir au public de nouveaux airs ou des nouveaux arrangements. Après, qu’il y ait des jeunes pousses qui émergent dans des horizons musicaux extrêmement différents, hip-hop, jazz, métal, tant mieux. Toutes les expériences sont intéressantes. Je suis toutefois étonné de voir que ce sont les plus anciens qui continuent à être les mieux identifiés par le public. Y a-t-il une adéquation entre la nouvelle scène bretonne et le public ou est-ce simplement  la faute du manque de curiosité des programmateurs ?

Concernant la réunification de la Bretagne ou la  reconnaissance de sa langue, ne pensez-vous pas qu’avec autant de Bretons au gouvernement une chance historique de reconnaissance vient de passer ?
Jean-Louis Jossic :
Il y a eu effectivement de belles occasions manquées entre 2015 et 2016. La première a été celle de la refonte des régions. Je le dis alors que je suis au parti socialiste et un ami de Jean-Marc Ayrault. Mais ce truc torché, à l’heure de l’apéro à l’Elysée… C’est absolument scandaleux. Nous les Nantais, nous avons failli atterrir à un moment donné en Poitou-Charentes parce qu’ils ne savaient pas quoi faire de nous, c’est ridicule ! Après est-ce un bien ou un mal d’avoir échappé au Grand Ouest  qui était une position d’attente possible ? Je pense que cela aurait été un mal parce qu’on enterrait le problème pour très longtemps. Je suis certain que la question de la réunification resurgira parce ce que justement, le pouvoir a tout fait pour l’empêcher de resurgir. Il a fait en sorte de mettre en place une loi qui fait que s’il n’y a pas les 9/10e de la population des quatre départements du truc qui demandent, c’est circulez, il n’y a rien à voir. C’est de la fausse démocratie.

Cela n’a pas empêché Jean-Yves Le Drian d’être bien réélu à la tête de la région Bretagne ? 
Jean-Louis Jossic :
Cela fait trente ans qu’un excellent historien breton Jean-Jacques Monnier a démontré que l’évolution politique et sociologique était sensiblement identique sur les cinq départements de la Bretagne historique. En revanche, cette évolution est antinomique aux autres départements de l’Ouest. Progressivement les Bretons sont passés de façon durable du Gaullisme et du centre-droit chrétien à la gauche sociale-démocrate.  Pour preuve, aux dernières élections régionales, les cinq départements bretons ont tous voté à gauche, ce qui est très rare dans la France d’aujourd’hui.  Les quatre départements des Pays de la Loire hormis la Loire-Atlantique ont, quant à eux, voté à droite. Nous nous retrouvons dans une région des Pays de la Loire que personne n’accepte chez nous, avec un président de région très marqué à droite. Tout cela parce que personne n’a voulu comprendre que politiquement et sociologiquement la Bretagne formait un tout. Il n’y aura jamais un Produit en Pays de La Loire alors qu’il existe un label Produit en Bretagne qui regroupe plus de 130 entreprises  et qui génère plus de 100 000 emplois. Qu’est-ce que nous avons à vendre en Pays de la Loire ? Les rillettes de Connérré, le poulet de Loué ? Qu’est-ce que le Muscadet de Loire-Atlantique pèse par rapport au Sancerre, au Mennetou-Salon, au Quincy ou au Reuilly ? Qu’est-ce que ce même Muscadet pèserait à l’inverse si l’on disait que c’est le vin breton pour les fruits de mer breton ? De plus en plus de viticulteurs sont en train aujourd’hui de changer d’optique et de dire : nous allons plutôt présenter nos produits avec l’étiquette bretonne parce que cela vendra mieux.  

Quels nouveaux costumes allez-vous arborez sur scène ?
Jean-Louis Jossic :
Depuis de nombreuses années nous apportons un soin particulier à nos costumes qui sont d’inspiration bretonne et baroque.  Nous sommes d’ailleurs le seul pays en Europe qui ne comprend pas le mot baroque souvent confondu avec le rococo ou le kitsch. Le baroque, ce sont tous les contraires qui se croisent. C’est l’exubérance, la créativité, le dépassement de soi.  Sur scène, nous déclinons cet esprit baroque dans nos costumes en faisant appel aux légendes et aux différentes saisons qui ont toujours ponctué la vie des Bretons.

Après ce nouvel album et cette tournée, faudra-t-il attendre  les 50 ans du groupe pour vous retrouver sur scène ?
Jean Chocun :
Nous aurons dans ce laps de temps au minimum un disque en gestation. Nous sommes en ce moment sur scène et comme les choses se font petit à petit, nous avons toujours des choses impromptues qui nous arrivent. Nous venons par exemple de remettre en scène un titre plus ancien qui s’appelle An Tour Terre. Ce titre-là n’était plus dans notre tour de chant depuis au moins 10 ans.
Jean-Paul Corbineau :
Dans cet album, nous essayons de tenir en haleine notre public de la première à la dernière note ou parole. Nous racontons en chantant, nous chantons en racontant. C’est d’abord un récit qu’il faut le faire passer du début à la fin. En ce qui me concerne, cela a été pour moi une difficulté supplémentaire. Et puis avec des copains derrière la vitre lors de l’enregistrement, ce n’est pas le public le plus facile. Je dirais même que c’est le plus exigeant.

Propos recueillis par David RAYNAL

Tri Yann, le site officiel 

Les prochaines dates de concert :
Mardi 4 et mercredi 5 octobre 2016 : Le concert des 45 ans, Paris (75) – L’Alhambra
Samedi 29 octobre 2016 : Lorette (42) – l¹Écluse à 20h30
Dimanche 30 octobre 2016 : Pierrefontaine-les -Varans (25) – « Les Celtivales »
Samedi 19 novembre 2016 : Moëlan-sur-Mer(29)

2017 
Samedi 14 janvier : Nogent (52) – Centre Culturel Robert Henry à 20h30
Samedi 28 janvier : Limay (78) – Salle Municipale à 20h30
Samedi 18 mars : Porcieu (38) -Salle des Marinières à 21h15
Samedi 22 avril : Réaumur (85)


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