Sonia Gameroff est depuis le 15 janvier 2017 le nouveau président de l’ACCIR, l’Association Culturelle & Cultuelle Israélite de Rennes. Son but, faire connaitre la synagogue au-delà de Rennes-Métropole et poursuivre le partage de son expérience afin d’élargir la visibilité de la communauté juive locale. Rencontre et conversation avec une femme de caractère. 


Commençons par une indispensable sémantique. Les Bretons de confession hébraïque sont-ils des « juifs bretons » ou « juifs et Bretons » ? La première hypothèse est adjectivale, elle implique que l’on puisse être l’un dans l’autre, validant par là-même une identité indéfectible du judaïsme breton. Dans la seconde formule, la conjonction « et » change tout, dans la mesure ou l’unicité identitaire se perd. Sonia Gameroff est catégorique sur ce point. « Non, il n’existe pas de spécificité juive bretonne. Un juif est un juif. Sa culture est identique, qu’il soit Auvergnat, Parisien, Breton ou d’ailleurs. » L’histoire du judaïsme breton mérite cependant de remonter loin. Très loin en arrière.

Rue de la Juiverie

La présence Juive est évoquée en Bretagne à partir du Vèmesiècle, alors que l’Armorique se détache peu à peu de l’Empire Romain et cultive des relations économiques avec l’Ile de Bretagne – l’actuelle Grande Bretagne. L’une des plus anciennes traces remonte au concile de Vannes (465), avec la précision qu’il était interdit aux clercs de partager leurs repas avec « ces gens » qui, se faisant, participent toutefois à la citée et favorisent son économie. Dès lors, leur établissement est durable. Certains s’installent à Rennes, à Fougères et surtout à Nantes. Aux XIIIèmesiècle, le bassin nantais comprends une importante communauté disposant de son sénéchal et d’une juridiction dédiée. Depuis, la présence des juifs en Bretagne, tant à Nantes qu’à Vannes, est attestée par des rue nommées Rue de la Juiverie. A Rennes, les traces sont relatives à une synagogue qui existait entre la Porte Mordelaise et la Tour de saint Morand immortalisées par feu le dessinateur Roger Blond. L’antijudaïsme qui marque les croisades aboutit cependant à une période de pillages et de meurtres suivis de leur expulsion du Duché (ordonnance de Ploërmel, 10 avril 1240). Il faut attendre le XVIIèmeet surtout le XVIIIèmesiècle pour retrouver trace d’une présence juive à Nantes, mais aussi à Saint-Malo et Rennes.

Elie deviendra Helias

La particularité de la communauté juive bretonne est double confirme Sonia Gameroff. D’une part, il s’agit de la plus petite communauté hébraïque de France ; au reste, elle s’est intégrée dans une population celtique en respect total de la culture locale avant même l’évangélisation de la région. Pour exemple, de nombreux prénoms bibliques (donc juifs) ont été attribués aux enfants et sont souvent devenus par la suite des patronymes. Chaque Breton en a dans son arbre généalogique. Ainsi Elie qui, part transformations successives (Ely – Elias), mutera en Helias, ou Salomon devenu Salaün. L’un des plus célèbres est d’ailleurs le prince Salomon, fils de Riwallon et comte de Poher, qui fut roi de Bretagne de 857 à 874. Sorte de Napoléon avant l’heure à qui la Bretagne doit sa principale extension.

Un lien entre Anne de Bretagne et Golda Meir

Autre particularité. Le rapport territorial. Un parallèle peut être fait entre Israël, terre biblique, et l’identité terrestre bretonne confisquée par la France. Sonia Gameroff poursuit. « Je ne sais pas si les Bretons auront à terme lutté aussi longtemps que les Israéliens pour récupérer leurs frontières, mais je fais un lien entre Anne de Bretagne et Golda Meir, toutes deux de fortes têtes volontaires et intelligentes. La communauté juive bretonne c’est un peu la hutte d’Assurancetourix dans le village gaulois d’Astérix. »

La Bretagne ne saura hélas ! pas les protéger

Puis arrive les violences antisémites de la fin du XIXème, attisées par le second procès Dreyfus qui a lieu à Rennes durant l’été 1899.  Cet épisode peu glorieux marquera du déshonneur les décennies qui suivirent. Après la débâcle de 1940, la Bretagne devient un lieu de refuge important pour des centaines de milliers de personnes fuyant les combats. A lui seul, le Morbihan accueillera plus de 144.000 réfugiés, venant pour l’essentiel du nord de la France et de région parisienne. Comme dans toute la zone occupée, les Juifs sont recensés et soumis à un statut dérogatoire. La Bretagne ne saura hélas ! pas les protéger contre les spoliations et la marginalisation. Deux ans après l’arrivée des nazis, le port de l’étoile jaune est imposé. Puis viennent les rafles et la déportation qui, à partir de 1942, se succèdent dans les cinq départements historiques. De ça. D’avoir laissé faire ça, tous les Bretons devraient rougir à plusieurs générations d’écart.

Le Breton Max Jacob s’éteindra cinq jours plus tard

Le Bretagne a aussi ses juifs martyrs, avec pour visage commun celui du poète et romancier Max Jacob, fer de lance du mouvements Dada. Né en 1876 à Quimper, il sera interné au camp de Drancy par la gendarmerie française en raison de ses origines ashkénazes. Malgré l’intervention auprès des autorités allemandes de Jean Cocteau, Sacha Guitry, Charles Trenet, Marcel Jouhandeau, Marie Laurencin, et quelques autres figures du tout Paris, rien n’y fera, le Breton Max Jacob s’éteindra cinq jours plus tard d’une pneumonie foudroyante, évitant de fait sa déportation programmée pour Auschwitz. Dans un ultime délire mortem, ses derniers mots furent « Juif ! Sale juif ! … »

L’appartenance d’une terre

L’interrogation qui demeure aujourd’hui s’attache à comparer le rituel celte avec la religion hébraïques, l’un et l’autre relatifs à l’appartenance d’une terre. Selon l’historien et juriste Louis Mélennec*, « La Civilisation bretonne est identifiée plusieurs siècles avant notre ère dans le Sud de l’Angleterre actuelle. Elle a ses coutumes, ses usages, ses croyances, sa langue, sa religion, ses institutions. Il s’agit d’un peuple celte, émigré de Grande Bretagne à partir du IIIème siècle, qui s’installe dans la partie Ouest de la péninsule armoricaine. Les Francs, venus de la Belgique actuelle, envahissent et soumettent la Gaule. Dès qu’ils sont en contact, aux environs de l’an 500, les deux peuples s’affrontent. (…) Pendant un millénaire, Bretons et Francs sont en lutte et contentieux permanents. Au IXème siècle, les empereurs francs tentent d’envahir la Bretagne. Ils sont refoulés chez eux à plusieurs reprises lors de défaites sanglantes. (…) En1789, une annexion est mise en œuvre par la France. Le régime d’autonomie breton est supprimé. Le pays est découpé puis administré par des gauleiters français sous le nom de « préfets ». Les Bretons se voient interdire de décider eux-mêmes de leurs impôts et de voter leurs lois. La langue bretonne est bannie et l’Histoire de Bretagne remplacée par l’Histoire de France. »
Voilà, selon Louis Mélennec, le problème breton de la France. Paris se doit de rendre une terre qui ne lui appartient pas. Certes, elle n’est pas biblique mais, tout comme Israël, relève d’une entité culturelle et religieuse annexée par une force étrangère.

Qu’en pensent les juifs bretons ?

Peu prennent ouvertement position. Si certains se reconnaissent une identité péninsulaire, ils s’inscrivent toutefois dans la ligne politique régionale et craignent le mot indépendance. Tous les sondages le prouvent, en cas de référendum, le « non » l’emporterait alors que la Bretagne est la seule région française à pouvoir s’auto-satisfaire économiquement. Les juifs bretons sont en effet davantage soucieux du sort d’Israël que de celui d’un élargissement identitaire de la Bretagne. Sonia Gameroff confirme d’ailleurs ne pas axer l’ACCIR sur une identité régionale mais exclusivement judaïque. L’ambassadeur d’Israël, madame Alisa Bin Noun, ne s’y trompe pas. Elle est dernièrement venue à la rencontre de la communauté juive rennaise et a répondu aux questions des fidèles avant de partager un repas « convivial et instructif ». L’ACCIR implique les jeunes dans des projets culturels afin de sensibiliser leur judéité. Son but premier est de raviver et faire connaître la synagogue au-delà de Rennes-Métropole. Des cours d’hébreux sont dispensés, des ateliers cuisine en rapport aux fêtes juives sont accessibles à tous, une richesse culturelle d’autant plus vive que la communauté est à peu près composé d’égale à égale entre séfarades et ashkénazes.

Les tartes aux pommes d’Anne de Bretagne et les célèbres cafés de Golda Meir ne sont donc pas prêts de se croiser sur la même table. Lorsqu’on le lui fait remarquer, Sonia Gameroff pose un dernier mot rassurant : « Je reste optimiste. »

Entretien effectué le 24 mars 2017
© 2017 Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle 

Pour approfondir :
Une manière d’être juif
Un livre de Théo Klein (Conversations avec Jean Bothorel)
Editions Fayard

* Interview accordée au magazine Sputnik – 2014.


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