L’ancienne patronne de TV Breizh était à New York afin de présenter son dernier livre « Questions d’identité. Pourquoi et comment être Breton »; A travers 19 portraits de personnalités, Rozenn Milin tente de répondre à la question : qu’avons-nous de si particulier, nous bretons, de si précieux à revendiquer et à conserver

Bretonne et pas peu fière de l’être. C’est à New York qu’elle est venue pour le dire ou du moins, le redire car la Grosse Pomme, Rozenn Milin connaît bien. « Je suis arrivée pour la première fois aux Etats-Unis en 1981. Je me suis retrouvée en Floride avec mon cirée jaune. Cela commençait bien, se remémore dans un grand éclat de rire cette Bretonne pur jus. Puis, je  suis revenue vivre ici quatre ans avant de regagner la France. »
Dans ses bagages, un ouvrage à la couverture couleur bleue mer magnifiquement illustré par le célèbre photographe, Antoine Legrand, qu’elle est venue présenter à ses compatriotes à l’invitation de BZH New York. « J’assistais au 25eanniversaire des Vieilles Charrues quand on m’a proposé de parler de mon livre. Alors, je suis venue », avance-t-elle ravie.

Née au « pays de l’Amoco Cadiz »

Au second étage du OCabanon, un restaurant branché ouvert par un Belle-Ilois sur la 29th Street à Manhattan, mordus et autres passionnés prennent place, impatients. Car la Bretagne, Rozenn Milin, c’est toute sa vie et même plus. Depuis sa naissance dans une ferme à Plouguin à la pointe du Finistère, « pays de l’Amoco Cadiz », aime-t-elle à rappeler, jusqu’à son parcours professionnel, – journaliste de métier, elle a notamment lancé et dirigé la chaîne TV Breizh de 1998 à 2003-, en passant par ses études qu’elle a consacrées aux Celtes de l’Antiquité par ses travaux de recherche à l’université, dès qu’il s’agit d’évoquer sa région, la solide Léonarde sait de quoi elle parle.

De ce parcours exceptionnel est né, logique, un livre au titre évocateur: « Questions d’identité. Pourquoi et comment être Breton ? » Deux ans de travail avec au bout des millions de signes. Mon premier éditeur ne voyait pas comment je pouvais extraire un ouvrage de tout cela », plaisante l’écrivaine. Les éditions Bo Travail ! l’ont finalement entendue. Grand bien leur a pris.

« Qu’est-ce que vous avez, vous, les Bretons ? »

C’est peut-être de cette petite phrase de Pierre-Jakez Hélias que tout est parti. « Le plus simple, c’est se fondre comme le morceau de sucre dans le café. » « Au XXIe siècle, tout finit par se ressembler alors qu’on a besoin de se définir, complète la journaliste. Nous, les Bretons, avons une identité particulière. Et d’ailleurs, souvent, à Paris ou ailleurs, on me pose la question. Mais qu’est-ce que vous avez, vous, les Bretons ?   J’avais des bribes de réponse mais j’ai voulu en savoir plus. »

Dix-neuf personnalités, toutes du cru, se sont pleinement prêtées au jeu éclairant l’auteure dans ses recherches mais aussi le lecteur dans sa soif d’identité. Alan Stivell, Irène Frain, Yann Queffélec, Jean-Guy Le Floc’h, Anne-Marie Crolais, Olivier de Kersauzon pour ne citer qu’eux comptent parmi les heureux élus qui tous cultivent ce point en commun, la revendication contre vents et marées de leurs origines et ce, quelle que soit leur position.

« Un très fort sentiment de honte »

Ces témoins d’un jour dont l’auteure offre, en première partie, de jolis portraits s’ouvrent ensuite sur des thématiques aussi chères que sensibles à la Bretagne et à leur propre parcours, telles que la pauvreté, l’humiliation ou la perte de la langue. « Le sentiment de honte a toujours été très fort chez nous, lâche tout sourire celle qui arrivait, comme on dit, du fin fond de sa campagne où l’on parlait breton à la maison. On nous traitait de ploucs et de bouseux. Notre langue, c’était du fumier et tous les touristes étaient pour nous des Parisiens. »

« Les vaches n’avançaient jamais assez vite »

« Comme le raconte Anne-Marie Crolais que l’on connaît pour être brute de fonderie, les vaches n’avançaient jamais assez vite sur la route jusqu’au jour où sa mère s’est énervée avec son bâton contre une voiture qui n’en finissait pas de klaxonner… C’est aussi pourquoi, nos parents ne s’adressaient à nous qu’en français, refusant de parler leur propre langue contrairement à des régions comme le Pays de Galles, l’Ecosse ou encore l’Irlande où la transmission a toujours existé.» Dans l’assemblée, on acquiesce et les témoignages fusent. « On nous empêchait de parler à l’école sinon, on se faisait dénoncer et c’était la vache autour du cou», se remémore une New-yorkaise d’adoption.

«  A quand la télé en breton ? »

Mais la solidarité, le goût de l’aventure et la foi en l’école font partie des valeurs sûres auxquelles les Bretons continuent de s’accrocher. Des fondamentaux en quelque sorte auxquels Rozenn Milin tente aussi d’apporter des réponses économiques et pédagogiques. « Notre région a connu la prospérité mais elle a perdu les moyens de transport, notamment par la mer, précise l’universitaire. Il nous appartient de nous redévelopper. Et pourquoi ne pas miser sur des industries de pointe. Et sinon, à quand la télé en breton ?»

« Notre langue est en très grand danger »

« La France est un pays où la revendication se fait par la violence, ajoute remontée l’écrivaine. Nous sommes les bons élèves. Les Corses ont leur télé et bien d’autres choses encore. Nous, on attend toujours… »

En journaliste chevronnée, Rozenn Milin dresse aussi un constat cinglant : « Comment expliquez-vous que dans une région de 4 millions d’habitants, il y ait aujourd’hui moins de 200 000 personnes à pratiquer la langue contre 500 000 il y a trente ans et un million il y a un siècle ? Le tout dans une région où la population n’a pas disparu. » Et de marteler : « Non, ce n’est pas un péché de parler le breton. L’Unesco estime que notre langue est en très grand danger. Le breton est la dernière langue celtique du continent. La langue suit le chemin de la pensée. Sa disparition serait une perte pour l’humanité ». C’est en breton, durant sa séance de dédicace, que Rozenn Milin terminera la soirée.

Marie Le Blé

Questions d’identité. Pourquoi et comment être Breton. Auteur, Rozenn Milin. Editions Bo Travail ! 25 euros.

Le saviez-vous ?
Brittophone. Ce mot désigne les personnes dont la langue d’origine est le breton contrairement aux bretonnants, terme qui se rapporte à la connaissance de la culture bretonne.
Rarement, « moi je ».  La phrase est flexible en breton, elle peut commencer par le verbe, le complément ou le sujet, mais très peu souvent par « moi je », contrairement au français.
Le verbe avoir n’existe pas. La langue bretonne n’utilise jamais le verbe avoir mais emploie la formule « être avec » ou trouver. C’est pourquoi dans la transcription, on peut dire de quelqu’un qu’il est parti à l’hôpital avec sa jambe ou qu’il est parti avec le docteur… Cet usage trouverait son origine dans l’obligation de solidarité due à la grande pauvreté qu’a connue la région.

0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie L'invité