L’adresse fait rêver. L’immeuble haussmannien aussi. Madeleine Chapsal reçoit chez elle avec la courtoisie d’une autre époque. La rosette de sa Légion d’Honneur ferait sourire certains. On comprend très vite qu’elle la porte par respect, comme un honneur pour son invité, une attention touchante dont l’élégance confine à la coquetterie de séduire. Son nouveau livre est le centième qu’elle publie depuis 1960. Dix-huit nouvelles regroupées sous le titre La voiture noire du désir.

 


Jérôme Enez-Vriad : Dix-huit nouvelles, n’est-ce pas dix-huit petits romans ?
Madeleine Chapsal : Si. Il est toujours très difficile de parler d’un livre de nouvelles car chaque histoire mériterait une interview spécifique.

La voiture noire du désir, pourquoi avoir choisi comme titre générique celui de la dernière nouvelle ?
MC : Parce que c’est le plus intrigant, mais aussi le plus visuel pour l’illustration de couverture. Je suis née dans une famille de haute-couture, une famille où les femmes créaient des robes et portaient la culotte. Cette  photographie de Rico Puhlmann fait référence à une élégance en voie de disparition.

Qui est Madeleine Chapsal outre la filleule de Madeleine Vionet ? (Couturière française inventeur de la coupe en biais et du drapé) 
MC : Ma bibliographie en témoigne : je suis une amoureuse. Depuis toujours. Une indéfectible amoureuse.

Une amoureuse passionnelle ?
MC : Non, la passion n’est pas l’amour. L’amour s’installe, il prend du temps ; la passion relève davantage d’une incandescence, elle brule pour se consumer, au final il n’en reste que des cendres. L’amour est une énergie différente, quasi cosmique, dans laquelle chacun tourne au mieux de sa configuration affective.

Je  pensais que vous m’auriez répondu être une femme de lettres…
MC : Mais je suis une femme de lettres après l’amoureuse. Une femme de lettres souvent rejetée, du reste. Je suis aussi une journaliste honoraire, pour une fois qu’un bel adjectif marque les années, je le revendique.

Pourquoi rejetée ?
MC : Déjà, par moi-même. Il m’a fallu attendre mon douzième livre, La maison de Jade qui est à ce jour mon plus grand succès, pour accepter d’être un écrivain. J’y ai raconté mes amours, et la reconnaissance du public m’a permis de ne plus avoir peur des gens. Rejetée aussi à l’unanimité – moins la voix de Régine Desforges – du jury Femina. (Madeleine Chapsal en a fait un livre : L’exclusion – Fayard – 2007)

Avec La maison de jade, la reconnaissance populaire est arrivée à l’aube de la soixantaine. Quelle est la différence entre un succès tardif et celui que l’on obtient à vingt ans ?
MC : (Sourire) Je ne sais pas puisque je ne l’ai pas eu plus tôt. En revanche, j’ai beaucoup fréquenté Françoise Sagan, et la rencontre du succès trop jeune semble être quelque chose de destructeur. On s’en remet difficilement faute d’y être préparé. Le regard sur soi-même n’est plus objectif pour y faire face. Mieux vaut s’y confronter plus tard.

L’âge est-t-il un privilège?
MC : Oui. Il est un privilège parce qu’il a des privilèges, en particulier celui d’être détachée des regards extérieurs. On peut dire ce que l’on veut en se moquant de l’opinion des autres.

Dans la nouvelle L’Epingle, vous faites un parallèle entre l’amertume du chemin de la gloire avec la fin tragique du Titanic. La gloire a-t-elle obligatoirement un revers ?
MC : Nous venons d’évoquer Françoise Sagan, mais il suffit de voir Napoléon ou, plus modestement, Jean-Jacques Servan-Schreiber. La gloire, surtout en politique : milieu de mensonges et concessions, est un revers de médaille permanent.

A propos de JJSS, il est en filigrane dans certaines nouvelles…
MC : J’ai reçu beaucoup d’amour de sa part. Comme il mérite mieux que deux ou trois apparitions dans des histoires courtes, j’aimerais faire éditer les lettres d’amour qu’il m’a écrites, mais sa dernière épouse s’y oppose… (Madeleine Chapsal marque un très long silence qu’elle laisse meubler par une nouvelle question.)

Vous êtes une des romancières les plus populaires, mais aussi de celles dont on parle le moins. Jamais de télévision, très peu de radios, une presse écrite limitée, pourquoi cette discrétion ?
MC : Elle n’est hélas ! pas de mon fait. La nouvelle génération me connaît peu et les plateaux de télévision sont sujets au dictat de la jeunesse imposée par l’audimat. Les producteurs (qui sont aussi animateurs) veulent de jolies romancières, plus vendeuses et surtout plus dociles à interviewer.

Depuis quelques années vous publiez moins. Un livre par an plutôt que les trois ou quatre auxquels vous nous aviez habitués…
MC : J’ai plein de choses à faire. Déjà, il a fallu gérer un cancer du sein. Croyez-moi, l’ambulance qui vient vous chercher tous les jours pour les rayons, ça occupe. Je raconte cet épisode dans mes mémoires qui paraitront lorsque j’aurais terminé de les écrire. Et puis, mon éditeur de toujours chez Fayard, Claude Durand, a pris sa retraite. Avec mon compagnon, nous avons aussi acheté une maison. Il a fallu la choisir, la meubler… En outre, j’accepte très bien aujourd’hui de ne plus écrire chaque matin, ce qui m’apparaissait inconcevable il y a encore quelques temps.

Serez-vous exhaustive dans vos mémoires ?
MC : Il y aura surtout quelques inédits… Vous savez, j’ai vu du monde ! (Sourire coquin) Si j’ai presque tout dit de ma relation avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, j’ai aussi vécu avec un publicitaire très connu, un chef étoilé, un danseur étoile… Il y a d’ailleurs eu beaucoup d’étoiles dans ma vie… (Long silence avant de poursuivre) Voyez-vous, pendant très longtemps je n’ai eu que des aventures ; j’espère que mon compagnon actuel sera celui de ma fin de vie, avec pour cocon intime notre maison bretonne.

Votre nouvelle adresse est donc bretonne ?
MC : Nouvelle adresse provinciale, oui, en Loire Atlantique et, comme vous le savez, la Loire Atlantique est bretonne malgré les caprices de la politique.

Un mot sur Simone Signoret à qui vous consacrez de magnifiques pages dans la nouvelle La passion de mourir.
MC : (Silence ému) Un mot, alors, pour ne pas déflorer ce passage. Lorsque Simone est décédée, je me suis dit, tu dois vivre. J’étais au plus mal et j’ai (sur)vécu.

Si vous aviez le dernier mot, Madeleine Chapsal ?
MC : L’important c’est l’essentiel et l’essentiel est toujours simple. 

Propos recueillis par Jérôme Enez-Vriad le 21 avril 2015 – Paris XVI
Copyright J.E-V & Bretagne Actuelle

La voiture noire du désir
18 nouvelles de Madeleine Chapsal
Editions Flammarion
234 pages – 18 €


0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie L'invité