Le plus grand festival de France, avec 750 000 visiteurs en moyenne chaque année, sera bientôt cinquantenaire ! Développé par son emblématique et entreprenant directeur Jean-Pierre Pichard pendant 35 ans, le festival interceltique de Lorient poursuit sa route de succès. Il fêtera cette année l’Ecosse, du 4 au 13 août, avec le bon mélange de spectacles populaires et plus pointus, une alchimie qui fait sa réussite. Avec 4500 artistes, 120 spectacles sur scène, 1600 bénévoles, le FIL transforme le visage de Lorient pendant 10 jours. En 2017, on y verra notamment Tri Yann, Sam Lee ou Amy Macdonald mais aussi les Musiciens de Saint-Julien qui interprèteront une musique écossaise du XVIIIe et José Angel Hevia, joueur de gaïta asturien. Une alchimie chère au directeur du FIL depuis 2007, Lisardo Lombardia, qui y fut auparavant pendant 22 ans le délégué des Asturies. Il évoque pour Bretagne Actuelle l’actualité du festival et de la musique celtique.


Depuis votre arrivée avez-vous suivi une direction tracée ou aviez de nouveaux objectifs ?
Les deux choses à la fois : je suis un continuateur des valeurs du festival, celles de mises en avant des identités de chaque pays celtique mais avec aussi une idée d’ouverture, une idée de recherche continue des expressions contemporaines.
Je crois que j’ai avancé un peu plus sur la visibilité de la diaspora celtique, notamment celle des communautés celtiques issues de l’immigration, comme en Amérique du nord et du sud, l’Amérique latine, avec des musiciens venus du Chili, de Cuba, des Etats-Unis, du Mexique…
J’ai également mis en valeur les petits pays celtiques européens moins connus comme les Cornouailles et l’Île de Man. J’ai été en général très attentif à mettre en avant la création contemporaine même si toujours on part de racines ancrées dans la tradition.

Justement quelle place accordez-vous aux innovations technologiques au sein de cette création contemporaine, notamment dans les Grandes soirées du festival ?
On suit les nouvelles esthétiques, les nouvelles technologies incorporées à l’expression musicale. Nous devons y être attentif et les mettre en avant. Mon métier en tant que directeur artistique est justement de détecter les mouvements en évolution et les mettre en avant quand ils sont qualitatifs.

Diriez-vous que la création, dans ce domaine, est plus riche aujourd’hui dans la culture celtique ?
J’en suis persuadé. La musique celtique est devenue aujourd’hui comme un « genre musical » même si c’est la diversité, la mixité et l’expérimentation qui dominent un peu partout. C’est clair que la musique celtique est ancrée dans la tradition mais en même temps expérimente beaucoup.

Vous inscrivez le métissage culturel dans cette expérimentation ?
Oui, il y a un métissage culturel comme résultat de la recherche, la réflexion. Métisser pour métisser n’est pas forcément signe d’une évolution de qualité. Mais quand le talent est derrière, comme nous essayons de le faire dans cette programmation, il y a des passerelles culturelles. C’est important s’il y a un sens. C’est la mission du programmateur de détecter ce métissage qualitatif.

Dans la programmation 2017, en termes de création contemporaine, insufflez-vous de la nouveauté ?
Oui, en Bretagne, il y a plein de groupes comme Fleuves et d’autres qui jouent avec l’électro et qui montrent cette diversité. Mais on voit aussi des expérimentations qui ne sont pas forcément liées à la technologie mais qui sont des nouveautés absolues comme l’expérience de Hamon, Martin et Annie Ebrel avec l’orchestre symphonique de Bretagne (figures de la musique bretonne, grande voix bretonne et orchestre symphonique) : ça donne de la modernité et une énergie extraordinaire pour la musique traditionnelle en Bretagne. Une expérience très positive.

Vous avez des coups de cœur dans cette édition 2017 ?
(rires) C’est difficile pour moi, directeur artistique, de répondre. La programmation est époustouflante voilà… On a 39 groupes de grande qualité, très jeunes, qui vont impacter le public. Je peux citer Sam Lee, un chanteur qui exprime parfaitement bien les troubles du monde contemporain avec le répertoire des gens du voyage écossais, Hévia, un sonneur asturien dans la tradition justement des sonneurs immigrés en Amérique latine, Cuba et Saint-Domingue… Il y a beaucoup de pépites cette année. Nous sommes très contents d’avoir des formations de haute qualité et des choses intéressantes pour le public.

Mêler des spectacles populaires et d’autres un peu plus pointus est un but ?
Oui, c’est un but. Je crois que les gens, dans l’expression musicale et la culture en général, sont à la recherche d’excellence. Le festival cherche à aller là et le public le perçoit. On le voit dans les réservations. On est heureux de voir le succès d’Amy McDonald mais aussi de petits concerts comme la formation de musique écossaise baroque du XVIIie siècle, les Musiciens de Saint-Julien. Il y a beaucoup de choses à découvrir. Les gens cherchent ça aussi. Une fête mais aussi des concerts plus exigeants qui sont suivis.

Le championnat des bagadou reste-t-il le cœur du festival ?
Il est incontournable. C’est les origines du festival. Mais évoquer « le cœur du festival » est un peu excessif. Même si je ne peux même pas imaginer le festival sans le championnat. Mais dire qu’il en est le noyau unique est réducteur…

Les bagadou ne s’exportent pas assez selon vous ?
Non, je crois que nous vivons un moment où les bagadou expérimentent, travaillent à l’extérieur, essayent plus que jamais de s’exprimer et de se montrer à l’extérieur. Il faut insister bien sûr.

Quelles sont les retombées économiques sur Lorient et son territoire ?
Nous attendons une étude qui va sortir cette année. Mais on a toujours évalué entre 3 et 4 € de retour sur investissement. Notre budget est de 6 millions d’euros dont en multipliant par 3,5 on a une idée de la manne qui retombe sur le territoire. Le festival a un impact qu’une campagne de promotion n’aurait pas. On attend que ces chiffres soient confirmés précisément.
Lorient est considérée comme la capitale, la référence, de la musique celtique un peu partout. La visibilité que le festival donne à la Bretagne est énorme au niveau national, européen et mondial.
Un musicien avait même dit que le festival était « L’endroit où venir avant de mourir… » C’était un peu exagéré… (rires)

Lorient est-elle devenue selon vous une ville plus culturelle grâce au festival ?
C’est aussi un peu exagéré. Le festival a aidé à ouvrir, à tisser des ponts. Nous recevons encore des courriers adressés au comité des fêtes… Les gens pensent qu’on est la fête de la ville. La musique a ouvert la vision sur d’autres horizons : arts contemporain, conférences…

Justement, cinéma, expo, conférences… : ça prend ou le cœur reste la musique ?
C’est le noyau dur mais ça n’empêche pas que les conférences à la chambre de commerce même sur des thèmes pointus sont toujours complètes, à 150 personnes.

Vous souhaitez étendre le festival avec des rendez-vous toute l’année ?
C’est un objectif. Mais les enjeux sont importants. Il y a beaucoup d’adaptation à faire, des travaux avec la problématique de la sécurité. Il y a donc déjà beaucoup à faire pour les 10 jours du festival. Mais nous ne renonçons pas à faire d’autres choses pendant l’année. Nous coopérons d’ailleurs déjà avec d’autres acteurs culturels du territoire toute l’année.

Qu’est-ce que la « celtitude » que vous évoquez dans un édito au programme de cette édition 2017 ? Elle existe réellement ou c’est une invention ?
Elle existe réellement. Nous partons d’une réalité concrète : 6 pays avec une langue celtique et une dimension démographique et historique beaucoup plus large qui arrive jusqu’aux Asturies et la Galice, qui n’ont pas de langues celtiques mais qui ont des traditions partagées notamment avec la Bretagne. Surtout grâce à Lorient, on a créé une famille culturelle beaucoup plus soudée qu’avant. Le festival a permis la connaissance et l’échange puis la création ensemble et aujourd’hui un sentiment d’appartenance visible et bien ressentie par tous les pays concernés.

Vous vous sentez breton aujourd’hui ?
Inévitablement (rires). C’est ma 10eannée en tant que directeur mais je connais le festival depuis 1981. J’ai été le délégué des Asturies pendant 22 ans. Une partie de ma vie est liée à la Bretagne. J’ai un côté breton, c’est certain.

Propos recueillis par Grégoire Laville
Photo : René Tanguy

Festival Interceltique de Lorient 

Présentation du Festival 


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