Le projet revient tel un serpent de mer depuis plus de deux siècles. Mais cette fois, c’est la bonne. La Californie est remontée à bloc, prête à se séparer de l’Oncle Sam pour enfin devenir indépendante. La faute aux résultats des élections ? Oui mais pas seulement. Histoire d’un divorce annoncé…


Et pendant ce temps… Un rêve pour certains, un mirage pour d’autres sauf que beaucoup se mettent à y croire. Les plus anciens s’en rappelleront. Julien Clerc, en 1969, en faisait même un tube. “La Californie est une frontière entre mer et terre, le désert et la vie…” Des paroles qui trouvent aujourd’hui un écho bien particulier loin des fantasmes des années baba cool et de la Maison bleue accrochée à la colline. Pour nombre de Californiens, il s’agit tout simplement d’obtenir leur indépendance. Le mot est lâché, sans tabou, poussé par une mobilisation sans précédent depuis l’élection de Donald Trump à la fonction suprême. Si l’idée n’est pas née d’hier, le résultat des urnes dans cet Etat ultra-démocrate aura servi de puissant catalyseur.

Avec 61,6% de ses voix données à Hillary Clinton contre 32,7% pour Donald Trump soit treize points de plus que la moyenne nationale représentés par 4 millions de votes, la Côte Ouest voit la vie en bleu. 

Les manifestations en cascade au lendemain des élections, au-delà du choc et de la colère des protestataires face au nouveau président élu dans lequel ils ne se reconnaissent pas n’ont fait que creuser l’écart entre la lame de fond rouge soulevée par le candidat vainqueur et ce bout d’Amérique avant-gardiste, libéral, libéré et surtout très accroché à ses valeurs.

Hollyweed

Défense des droits de la communauté LGTB, combat pour l’écologie, lutte contre les armes à feu, légalisation de la marijuana, personne n’a oublié le fameux panneau Hollywood transformé un beau matin en Hollyweed, la Californie tient à ses acquis et jure que le seul moyen viable de les conserver est de divorcer de l’oncle Sam.  

Lancé en 2014 par un certain Louis J. Marinelli du California National Party favorable à un état indépendant, le mouvement sécessionniste s’est tout d’abord appelé Sovereign California (Californie Souveraine). En 2015, influencé par le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse sous la bannière Yes Scotland, il devient Yes California Independence Campaign. Le Calexit en référence au Brexit ou encore Caleavefornia étaient nés. 

Au cours de la campagne présidentielle et la forte mobilisation qui a suivi, le slogan s’est mis à fleurir de partout, dans la rue et sur la toile appelant à grands coups de hashtags, le Golden State, autre nom donné à la Californie à se lever au nom de sa propre identité.

Par sa victoire, Donald Trump aura réussi à réveiller une grande soif d’émancipation dans l’Etat le plus jeune et le plus peuplé du pays avec ses 40 millions d’âmes.

76% de « oui »

Mais de là à franchir le pas… Et pourtant, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le 27 janvier dernier, le secrétaire d’Etat démocrate, Alex Padilla, ancien sénateur et fils d’immigrants mexicains, annonce qu’un vote en faveur d’une initiative baptisée « Californie, une nation » a été approuvée par l’Etat du même nom afin de permettre la collecte de signatures nécessaires en vue d’un vote prévu l’an prochain.

Le résultat des urnes est sans appel. A la question, « Californie, êtes-vous prêt à vous séparer des Etats-Unis ? ». Sur 15 925 votants amenés à se prononcer, 76% répondent « oui » et 24%, « non ». De quoi donner une sacrée poussée d’adrénaline aux partisans du « Yes » qui ont maintenant jusqu’au 25 juillet prochain pour engranger 585 407 signatures de citoyens en droit de voter, ce qui à titre de comparaison, représente 8% du nombre d’électeurs ayant désigné le gouverneur de Californie en 2014.

Si les indépendantistes n’atteignent pas ce nombre, ils devront alors faire une croix sur leur projet d’émancipation. Autant vous dire qu’à l’annonce de la nouvelle, les partisans du « oui » ne sont pas restés les deux pieds dans le même sabot. Avant même de recevoir le feu vert de l’Etat californien, l’appel aux signatures était déjà lancé.

Référendum et amendement

But de la manœuvre, dans la foulée des élections législatives, amener les citoyens à se prononcer en 2018 par la voix d’un référendum sur la modification de la Constitution qui stipule que la Californie est « partie intégrante des Etats-Unis d’Amérique, et que la Constitution représente la loi suprême du pays. » Pour changer le texte à des fins d’indépendance, au moins 51% des voix seront requis.

Seconde étape en 2019, cette fois, où à l’issue d’un référendum, un élu de Californie siégeant à Washington aurait pour mission de proposer un amendement à la Constitution des Etats-Unis. Cet amendement impliquerait le départ de l’Union de la Californie (lire encadré).

Une double victoire dont rêvent les indépendantistes même si la route est encore très longue. Mais le cœur est à l’ouvrage et l’ambiance à l’optimisme. « Nous enregistrons à ce jour 56 chapters, l’équivalent de villes qui nous soutiennent dont certaines sont situées en France, à New York ou en Thaïlande, se félicite Marcus Ruiz Evans, vice-président de Yes California. Le principe est simple, tout citoyen californien est tout à fait en droit d’apporter sa voix et ce, quel que soit l’endroit de la planète où il se trouve. »

Plus d’adhérents qu’au Parti Démocrate

S’il reste flou sur le nombre de votants potentiels déjà enregistrés, Marcus Ruiz Evans avance pour autant des chiffres éloquents en termes de mobilisation. « Le nombre d’électeurs possibles grandit tous les jours, ajoute le responsable de Yes. Je reçois des milliers de mails. Nous n’avons pas encore vraiment commencé à compter. »

Plus encourageant encore, selon ce dernier citant l’institut de sondage IPSOS, le nombre de soutiens au mouvement indépendantiste dépasserait désormais celui du Parti Démocrate en Californie. « Yes est à 47,5% et les Démocrates à 46%, s’enthousiasme Marcus Ruiz Evans. Nous comptons plus de 160 000 personnes enregistrées sur notre site, plus 21 millions de followers sur Twitter et quelques 8 000 volontaires répartis à travers l’état. »

Mais Yes California n’a pas les épaules financières du parti des bleus. Des emails énergiques appellent régulièrement à lever des fonds.

La prudence reste aussi de mise quant aux nombres de votants effectifs attendus lors du Jour-J. Face à de possibles enregistrements multiples sous le même nom, le parti sécessionniste pourrait envisager d’enregistrer un million de participants. « On ne sait pas, de plus, quel moyen sera utilisé le jour venu pour s’exprimer, vote électronique ou papier, prévient le vice-président. C’est pourquoi, on préfère être prudent. »

La Californie est hors de contrôle

Et la raison à tout ce chambardement ? L’effet Donald Trump ? « La Californie est hors de contrôle », déclarait tout juste élu, le 45e président des Etats-Unis lors d’une interview sur une chaîne de TV américaine.

Encore récemment, pour contrer la mise sous le boisseau de l’Obamacare, deux législateurs de l’Etat, les Démocrates, Ricardo Lara et Toni Atkins ont, à la surprise générale, déposé un texte permettant une couverture santé pour l’ensemble des Californiens, incluant les personnes non documentées…

Autre décision prise par les dirigeants locaux, la reconnaissance du statut de transgenre avec la possibilité d’en attester sur ses documents d’identité. Une mesure bien éloignée de celle annoncée par la Maison Blanche visant la suppression très controversée de la signalisation de transgenre dans les toilettes publiques américaines.

Entre la défense des immigrants clandestins via les villes sanctuaires ou encore la volonté de maintenir coûte que coûte la légalisation de la marijuana face aux récentes réticences du pouvoir fédéral, les Californiens ne laissent jamais échapper une occasion de répondre aux nouveaux locataires de la Maison Blanche.

Les Etats-Unis sont de mauvais voisins

Mais au-delà des réactions du tac-au-tac, la réplique de choix est avant tout économique (lire encadré). « Nous représentons la 6e puissance économique du monde, reprend avec ferveur Marcus Ruiz Evans. La Californie supporte plus financièrement les Etats-Unis que l’inverse. Ce sont de mauvais voisins qui nous insultent et nous critiquent en permanence en nous reprochant notre dette, mais la leur est bien plus importante que la nôtre et c’est nous qui la supportons. »

Dans le viseur, Wall Street et le cauchemar encore vivace de la crise économique de 2008. « La banqueroute a commencé à New York et la Californie en a fait les frais, regrette amer le représentant de Yes. Les financiers nous ont piégés avec les subprimes. Beaucoup de Californiens ont perdu leur maison. New York se fait de l’argent et Washington changent les lois. C’est la raison pour laquelle nous voulons notre indépendance. »

Un constat sévère repris par Bob, cadre financier au sein du gouvernement local. « Nous avons plus de représentants au Congrès que les autres Etats, rapporte cet homosexuel de quarante-quatre ans marié depuis deux ans à Bryan, administrateur universitaire. Je ne fais pas de politique mais nous devons aller vers quoi nous aspirons. Nous avons acquis de nombreux droits et progressé dans énormément de domaines. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. »

Nous aimons le monde et nous aimons les gens

Le souci majeur de Bob porte sur la remise en cause des acquis de la communauté gay très importante en Californie, notamment à San Francisco où il réside. « Je me lève tous les matins en me demandant comment ça va se passer. Tout le monde est Démocrate ici. J’ai été dévasté par l’élection de Donald Trump. C’était la première fois que je n’avais plus d’espoir. »

L’espoir, pourtant Marcus Ruiz Evans, en a à revendre. « Nous aimons le monde et nous aimons les gens. Notre état compte 30% d’immigrants latinos, afro-américains et asiatiques, soit deux à trois fois plus que la moyenne nationale. C’est sans doute pourquoi les Californiens adorent voyager, s’enthousiasme ce petit-fils d’émigrant mexicain du côté maternel et dont le papa, aime-t-il à rappeler, est « blanc et américain. » « On aime aussi lorsque les gens s’expriment dans leur propre langue. Si on veut, par exemple, acheter des crêpes, plaisante cet ancien designer urbain de quarante ans. On aime que la personne qui nous les vend nous explique, dans sa langue d’origine, comment elle les fait. »

Alors, Donald Trump, ennemi juré de la Californie ou booster de conscience ? Avant même de devenir libre et indépendante, cette Californie-là pourrait bien devenir une arme incontestable de résistance face à son nouveau président.

De New York
Marie Le Blé

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