Avec "L'Art de l'autre", Antoine Tracou signe un film doux et subtil. Doux, subtil et rennais. Un film dont l’image est au centre, celle qui se fabrique, se gratte, l’image que le couteau épure, ou le doigt du peintre quand il estompe le passage d’un pastel.


Le cinéaste signe un portrait de peintres à portraits. Un portrait à trois pans dont le sien, celui d’un cinéma en train de se faire, didascalique. Trois hommes se rencontrent, se regardent, parlent –quoique trop peu, et forment un portrait croisé. Celui de Tracou lui-même, et celui de Mariano Otero arrivé à Rennes arraché à la nuit franquiste et celui de Jean-Pierre Le Bozec qui croise à seize ans, aux Beaux-Arts un camarade de classe nommé Otero. Les dialogues s’instillent ici moins dans les mots que par la main, ou l’œil, et ces lieux de magie blanche qui se nomment ateliers.
Otero tire des portraits de Le Bozec et vice versa. C’est la règle du jeu qu’impose Antoine Tracou, rien de mièvre ni forcé, tout d’une charge à la fois amicale, picturale, technique et dont les portraits tirent vers ce que montre un peintre : du réel, du trait pour trait mais tellement de transgressif, tellement de digressif, en bref d’imaginaire. Le Bozec impose une casserole à Otero et pose sur le papier, entre ses doigts, un cube, car Otero est cubiste qui d’ailleurs impose la carrure au cube de Le Bozec. Se fabrique un film L’art de l’autre où l’être est de l’art.
Les deux figures de Rennes nous racontent une ville de ploucs qui les a accueillis. Le madrilène s’avère fort de sonextériorité, son « bagage » d’exilé, et le fils de cheminot, Le Bozec, raconte une aspiration vers l’art, quelque chose de soumis aux références, à l’appel. L’un et l’autre pourtant, sûrs de n’être pas mystiques.
Sans doute le film l’est-il un peu, surtout dans cette séquence finale, au Prado, devant le portrait des portraits. Les deux amis de longue date, qui respectent depuis toujours leurs formes propres, tous les deux pastellistes, on les voit littéralement se laisser aspirés par l’immensité de l’art où dieu n’est pas une représentation mais le tableau.


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Edito

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