Fleur de Tonnerre : une vipère très au point HermineHermineHermine

La coupable était dans la cuisine. Son arme ? Du poison. Et le Colonel Moutarde n'était pas né. C'est une histoire vraie dont le temps a lentement simplifié les traits, n'en gardant que le simple habit d'horreur, jusqu'à ce que Jean Teulé choisisse comme muse étrange cette femme faucheuse aux manières d'ange. C'est de sa version romancée de l'histoire d'Hélène Jegado qu'est inspiré le film Fleur de Tonnerre, bien que ce dernier s'en distingue clairement. On ne s'étonnera donc pas que cette histoire doublement adaptée prenne de larges libertés par rapport à la vraie, déjà largement décousue par les années. 


Fleur de Tonnerre : une vipère très au point

N’est-ce pas le propre des légendes que d’évoluer au gré des angoisses qu’elles doivent exorciser ? Les figures du mal sont protéiformes, impalpables mais incassables ! Les accepter semble finalement plus raisonnable que de les combattre vainement. D’ailleurs, en acceptant ses monstres, Hélène aura finalement atteint son but ! L’Ankou n’est plus si terrifiant depuis qu’elle lui a tordu le cou : le carnage candide de la pieuse Hélène a surpassé dans l’horreur la frayeur qu’il inspirait. Accusée d’avoir tué au moins 36 personnes et guillotinée le 26 février 1852 devant une foule encore ahurie, elle sera ensuite autopsiée par des experts qui lui chercheront en vain la « bosse du crime »… Hélène reste encore aujourd’hui la plus grande et la plus incompréhensible des tueuses en série. 

Poison en sauce

28 prairial an XI – 17 juin 1803, Plouhinec, Bretagne. Un nom vient s’ajouter au registre des naissances. Le registre des décès quant à lui ne perd rien pour attendre.

Politiquement et économiquement dévastée, soumise à un clergé tout-puissant, la Bretagne est d’autant plus affaiblie que sa langue et ses coutumes locales sont progressivement rejetées. Dans les campagnes, on accepte et explique les coups du sort en les attribuant aux figures légendaires qui hantent les contes populaires. Dans ce contexte, un petit être naît et grandit mal, bercé de peurs plus que d’espoir, isolé dans sa campagne désolée. Hélène Jegado, orpheline de mère dès ses sept ans, n’aura que les cruelles légendes de Basse-Bretagne pour l’extirper du bagne de la réalité. Elle s’avère si profondément marquée par le personnage de l’Ankou qu’elle s’en croit possédée et cède un jour et pour toujours à l’appel dément du mal transfiguré, devenu son seul allié. De là s’ensuit un parcours en noir et blanc saisissant. D’abord femme à tout faire puis cuisinière, Hélène passe de village en village et systématiquement la mort frappe, et systématiquement Hélène s’active au chevet des malades et déplore la malédiction qui semble la poursuivre. Pourtant, derrière ses tabliers de cuisinière douce et docile, c’est elle l’ouvrière acharnée de ce Destin incarné, la petite main de la Mort qu’elle mijote sans effort puisque ce plat se mange glacé, puisqu’elle est déjà loin quand le soupçon frappe les endeuillés. 

Un film qu’on aurait aimé adorer 

Premier aboutissement de Stéphanie Pillonca-Kervern en tant que réalisatrice, ce film tourné en peu de temps et avec un budget très limité offre de belles surprises derrière des faiblesses malheureusement manifestes. La réalisation n’évite pas les poncifs et les dialogues assez plats (notamment l’interrogatoire d’Hélène Jegado par le juge d’instruction, fil conducteur du film) rendent malheureusement l’histoire compréhensible aux dépens de la subtilité qu’un tel sujet laissait espérer. L’affiche tout en douceur représentant la diaphane Hélène, ou encore la scène de la marraine coiffant la petite fille qui aurait certainement inspiré Vermeer promettaient un raffinement et des nuances que le film peine généralement à manier. Séquences trop démonstratives et clichés appuyés, à l’image de la première scène où Hélène enfant trouve la vénéneuse belladone mais pas la main de sa mère, des plans sur l’océan systématiquement accompagnés par les cris des goélands, de la scène du naufrageur qui lui explique son « métier » et le droit de bris comme un Petit Larousse illustré… On regrette l’aspect redondant et caricatural des lourdes injonctions auxquelles Hélène doit se soumettre, des séquences d’empoisonnement et des scènes de chasse aux sorcières où les villageois arborent forcément des gueules de Cour des miracles. Peut-être fallait-il justement déconstruire, casser le rythme de cette chronologie macabre. 

Cependant, pour ceux que ce pan de culture bretonne intéresse, la séance ne déçoit pas. Le film n’est pas parfait mais Stéphanie Pillonca-Kervern en est consciente : « Raconter l’histoire d’une femme au cinéma, c’est compliqué, une femme qui tue, ça l’est encore plus, et au XIXe siècle, c’est carrément indigeste ». Elle reconnait volontiers qu’il est difficile de produire un film « différent, pas dans l’air du temps, pas un feel good movie » et qui en plus se déroule en d’autres temps. Les financements ont manqué, même si la région Bretagne a apporté son soutien au projet. 

Petit budget mais vraies richesses

Un film petit budget donc, mais certainement pas sans richesses : l’arrière-plan breton de légendes et de brume est magnifiquement travaillé et sonne juste. Les compétences de l’éco-musée de Saint-Degan et de ses bénévoles ont été judicieusement sollicitées. Les décors (villages et intérieurs de maisons), mis au point par des décorateurs bretons extrêmement pointilleux, sont superbes. Pour déterminer les lieux de tournage, qui devaient être vierges de toute trace de modernité, Stéphanie Pillonca-Kervern est partie pendant deux ans sur les pas d’Hélène, sur les routes bretonnes, avec sa famille. On devine sans peine que l’intérêt que porte Stéphanie Pillonca-Kervern n’est pas feint : « Mon mari Gustave Kervern qui a co-écrit le film avec moi est breton… Nous connaissons très bien la Bretagne, pour l’avoir parcourue, arpentée, explorée depuis de nombreuses années. Nous nous y rendons le plus souvent possible, nous sommes habités par ses paysages surprenants, sa culture et ses traditions toujours vives (…). L’âme bretonne nous parle, nous interpelle tous deux, elle nous éblouit, nous émerveille. » La Bretagne apparaît en fait comme un personnage à part entière dans cette adaptation très libre du roman de Teulé. Déborah François, qui joue le rôle de Fleur de Tonnerre, insiste d’ailleurs sur l’importance de ce cadre breton dans son appréhension du personnage. Le folklore breton et ses 1001 légendes, qui ont réveillé dans sa mémoire les démons légendaires de Wallonie et des Ardennes, ont joué un rôle capital dans sa préparation.

Transition bienvenue, puisqu’elle nous invite à conclure sur un dernier bon point : le casting du film, remarquable. Si Benjamin Biolay n’est pas très convaincant en bourgeois amoureux transi, Christophe Miossec est excellent dans son rôle d’abbé béat ! 



Fleur de Tonnerre, long-métrage franco-belge réalisé par Stéphanie Pillonca-Kervern, avec Déborah François (Hélène Jégado, dite Fleur de Tonnerre), Catherine Mouchet (Anne Jégado), Benjamin Biolay (Matthieu Veron) et Christophe Miossec (l’abbé Lohro)

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Edito

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