J’ai découvert Fabrice Lévêque par l’intermédiaire d’un ami. Le hasard ? Pas vraiment. Plutôt une coïncidence nécessaire laissant imaginer que, de toute manière, nous nous serions croisés un jour ou l’autre. Ce fut d’abord l’exploration de son travail, suivie d’échanges à distance avant la rencontre tant espérée


Dans un premier temps, ses photographies m’ont inspiré une certaine image du romantisme  au-delà de la caricature que l’on en a. Car le romantisme, celui qui, en France, s’est développé entre la Restauration et la Monarchie de Juillet par réaction au classicisme et au rationalisme des siècles précédents – sorte de « Nouvelle Vague » du XIXème -, ce romantisme-là n’est pas uniquement le sien. Certes, il libère l’artiste d’un « moi » égocentrique et fait davantage place au sujet ; toutefois, le romantisme de Fabrice Lévêque s’attache aussi à une philosophie qui ne relève pas simplement d’une banale (im)posture esthétique. Et qui dit philosophie exprime avant tout une manière de vivre, presqu’une diététique : « La photographie, confie Fabrice Lévêque, représente tout pour moi, vraiment tout, au point d’avoir failli en crever lorsque j’ai arrêté d’en faire au cours des années 2000. Je n’ai jamais réussi à me définir comme photographe, dans un cadre social tout au moins ; je m’envisage davantage comme portraitiste, éventuellement comme un rêveur qui utilise la photo pour communiquer avec les autres jusqu’à une recherche sensuelle, sensorielle, sensitive, sensible… (à ne surtout pas confondre avec tactile.) »

Fabrice Lévêque ne s’intéresse pas au spectacle du monde mais à celui de la vie. Ambition beaucoup plus difficile qu’il y parait à travers les détails que lui seul met à jour en décryptant ses modèles au scanner. Il est l’un des rares photographes à préférer la mise en valeur de l’autre plutôt que la sienne. Ne lui demandez pas de projeter ses fantasmes dans de merveilleuses mises en scènes où certains de ses confrères excellent. L’essentiel est ailleurs, au cœur des choses, manière la plus simple et la plus épurée possible de recréer le glamour hollywoodien des années 30 et 40, mais débarrassé du strass, des paillettes, de tout ce qui peut distraire de la beauté et de la présence des modèles, ce qu’il appelle la « présence-absence ». Un de ses amis le qualifie à la fois d’horloger et de funambule. « Horloger parce qu’il constitue avec patience un panthéon photographique très homogène par sa lumière et sa mise en scène des plus dépouillées. Mais aussi un funambule avec sa technique d’ouverture maximale du diaphragme et de mise au point manuelle, qui le met à la merci du moindre clignement d’œil et transforme son travail en un périple sur le fil du rasoir. Le résultat est doublement saisissant : dans une lumière dorée, olympienne, les portraits sont exaltés par leurs différences, le grain de peau éclate littéralement au grand jour et les regards puisent leur expression au plus profond de l’âme. Ainsi, la corporalité est portée par le sens, et l’homme ressort de l’œil de Fabrice plus entier que dans sa propre réalité. »

Une telle maestria confine à un esthétisme singulier immédiatement identifiable. Prenons pour exemple l’un des plus beaux portraits de l’actrice Julie Delpy (accessible sur sa page Wikipédia), il est l’illustration concrète de ce qu’évoque le photographe dans sa quête sensuelle, sensorielle, sensitive et sensible. Une image qui rappelle celles d’Éric Carpenter et des grandes années hollywoodiennes. Voilà d’ailleurs l’unique obsession de Fabrice : les actrices, les acteurs et le cinéma. « J’aime le cinéma plus que toute autre forme de création et, au-delà encore, les acteurs et les actrices. La photographie a toujours été le seul moyen à ma portée, mais aussi le seul qui m’intéresse vraiment, de m’approcher du cinéma. Je n’ai jamais rêvé d’être metteur en scène et, si j’ai voulu être comédien à une époque, c’était avant tout pour m’approcher d’autres comédiens. Les voir de près. Je suis d’une nature très contemplative alors qu’un acteur ne peut se contenter de la contemplation de ses partenaires. Un photographe, si. » Le scénariste Bruno Benichou nous en dit davantage à ce propos : « Fabrice change en star n’importe quel inconnu. Regard de face ou de biais, sourire amorcé ou pas, d’un modèle il révèle plusieurs personnages et personnalités différentes, comme si nous étions tous d’immenses acteurs. Ses photos sont uniques. Je ne me lasse pas de les regarder. Ce sont chaque fois de nouvelles et magnifiques découvertes. »

Au fil de mes recherches, la projection du romantisme sur le travail de Fabrice s’émoussa néanmoins quelque peu. Ses capacités ne relèvent en effet pas exclusivement des habituelles sensibilité, exaltation et rêverie propres à l’image du XIXème, même si cela suffirait déjà à la construction d’une œuvre exemplaire. Non. L’immense talent de Fabrice Lévêque s’approche tout autant de celui du sculpteur. Romantique. Peut-être. Mais d’un sculpteur dont les modèles seraient sa matière dure, et les prises de vues sa glaise. Ses photographies ciselées, polies, poudrées, sont une résurrection contemporaine de la grande statuaire antique. Fabrice Lévêque a remplacé la technique par l’inspiration de la méthode, c’est-à-dire un ensemble de procédés savamment orchestrés, mis au point par lui-même, et qu’il emploie pour investiguer ses modèles avant de les sublimer en ce qu’ils ont de plus beau. De l’art pur et véritable, digne de s’attaquer au plus grand mythe. Ava Gardner, par exemple. Un livre hommage est en préparation pour 2017. Gageons qu’il aura l’élégance conjointe de la star et de son auteur. D’ici-là, une exposition parisienne permettra au plus grand nombre d’admirer son travail. 

© Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle – 2016
Photographies, tous droits réservés Fabrice Lévêque
Propos recueillis à Paris – Décembre 2016
Merci à Bruno Benichou


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