C’est peu dire qu’il était attendu. Depuis 36 ans même par certains. Samedi, le mythique groupe rennais Marquis de Sade est remonté sur scène pour un concert annoncé comme unique. Il fallait donc être parmi les 3000 spectateurs ce 16 septembre 2017 pour assister à ce qui pourrait devenir un concert culte. 


Je ne vais pas jouer les grands fidèles. Je suis né, il y a 40 ans, en même temps que Marquis de Sade. Et si j’ai grandi – et continue – avec Daho, je n’ai entendu parler de Marquis de Sade – comme d’une légende (bretonne) – que par des aînés. J’ai fait une partie de mes études à Rennes à la fin des années 90 et la grande époque était passée depuis plus de 15 ans. Mais les salles, les murs et les pavés rennais bruissaient de ces jours de liberté où pendant un moment certains ont dit que Rennes était « la capitale du rock en France ». L’ébullition punk et rock que vivaient aussi d’autres villes françaises semblait avoir davantage remué Rennes, en faisant éclore des chanteurs et des musiciens qui allaient influencer les générations suivantes. Quelques années plus tard, d’ailleurs, Miossec me le confirma : à la question « est-ce qu’un groupe a été un déclencheur pour toi ? » Il me répondit sans hésitation « Marquis de Sade ». Ce groupe qui n’avait vécu que 4 ans semblait avoir marqué de façon indélébile la suite des événements.

Le groupe ou la période ? Il y a quelques mois, Etienne Daho me résumait son sentiment en évoquant « un alignement de planètes ». Des gens, des moments, des lieux, des ambitions, une synergie… « Le parrain de la pop française » qui continue à se réinventer, à influencer tant de jeunes musiciens, me racontait aussi comme il était fan de Marquis de Sade, se rappelait du charisme de son chanteur et comme il avait été triste de leur séparation en 1981 : « C’était exceptionnel sur scène parce qu’ils inventaient quelque chose de neuf. Ils ont capturé quelque chose. Et Philippe Pascal est un show man vraiment renversant. Je ne me souviens pas d’avoir vu quelqu’un d’aussi spectaculaire. » Ils inventaient donc en créant une atmosphère originale qu’on a qualifiée d’intello. « Il parlait de peinture, d’Egon Schiele, poursuivait Etienne Daho. Il y avait toujours une dimension culturelle, ce qui changeait de tous les autres groupes français d’avant (rires)… Qui essayaient de singer les Stones par exemple. » Frank Darcel et Philippe Pascal, âmes du groupe, eux-mêmes – séparément – me racontaient au printemps quelle épopée – parfois chaotique – avait été l’aventure Marquis de Sade avant que chacun poursuive sa route, avec Octobre pour le premier et Marc Seberg pour le second.

Et quelques semaines après, on apprenait la reformation du groupe pour une date unique à Rennes… Après avoir envisagé la légendaire salle de la Cité, impraticable, Le Liberté est prêt pour 3000 places, vendues rapidement.

Qu’en serait-il… ? Fallait-il laisser les choses à leurs places et ne pas convoquer le passé ? Fallait-il raviver la flamme éteinte par les discordes des deux charismatiques leaders de Marquis de Sade ? Ne croiserait-on que de nostalgiques têtes blanches ? Marquis de Sade devait-il se reformer ?

Cent fois oui. On savait qu’ils arrivaient auréolés du mythe, on se doutait que la majorité des spectateurs auraient plus de 50 ans mais la crainte de la réunion d’anciens combattants s’est immédiatement dissipée.

Ils ne sont pas tombés dans le piège du retour crâneur des anciennes gloires, Philippe Pascal débutant par un simple et honnête « Bonsoir Rennes, nous sommes les Marquis de Sade ». Le groupe a poursuivi dans la même veine, se donnant « comme en 80 ». Et quel souffle ! Les gestes caractéristiques de Philippe Pascal, mime longiligne aux beaux traits marqués, ont repris presque instantanément leur place comme Frank Darcel, Eric Morinière et Thierry Alexandre. Avec Xavier Géronimi à la guitare solo et Daniel Paboeuf au saxophone, Marquis de Sade a décliné la quasi intégralité de ses deux albums Dantzig Twist et Rue de Siam.

On comprend mieux ce « son continental » que, selon certains, Marquis de Sade aurait amené en France, avec ces textes mêlant anglais, allemand, français. Les mélodies s’estompent parfois derrière une déstructuration à la limite de l’expérimental, renforcé par des vidéos, rappelant l’expressionnisme allemand cher au groupe durant un temps mais aussi les œuvres les plus personnelles de David Lynch. Avec un éclairage et des jeux de lumières au cordeau, Marquis de Sade parvient ainsi même à se réinventer 36 ans après leur dernier concert.

New-wave ?  Post-punk ? Rock ? La question ne se pose plus aujourd’hui où tout se mêle plus librement. Marquis de Sade est simplement dans le vif du sujet, moderne, dans l’époque. L’un de leurs titres phares, Conrad Veidt en est l’illustration parfaite. Rien de tel n’existe dans le rock français.

Marquis de Sade a invité ses amis « historiques » sur scène pour une reprise du Velvet underground, White light, White heat : autour du groupe fidèle et de Christian Dargelos, des Nus et premier chanteur de Marquis de Sade, de Sergeï Papail de « Fraktur », de Pierre Thomas de « Marc Seberg », c’est le fantôme de Lou Reed qui murmurait, symbole des influences communes de cette grande famille, de Daho à Pascal. Sur ce titre, comme sur ce concert, les hommes aux costumes sombres ont été au summum de l’élégance. Un mot qui pourrait sembler bien désuet, que Marquis de Sade a incarné à merveille. Une élégance rock.

En fait, pendant ce concert, je me suis demandé depuis quand un groupe de rock français a joué sur scène avec une telle intensité et une telle vérité (ou depuis quand un groupe de rock français a joué sur scène tout simplement…).

Jérôme Soligny, musicien de la « génération Marquis de Sade », journaliste à Rock & Folk, spécialiste de Bowie et des Beatles, rencontré quelques heures plus tôt, avait bien raison : « pas d’inquiétude, la qualité est intemporelle ! »

Les 3000 spectateurs, parmi lesquels Etienne Daho, Dominique A, Pascal Obispo, enfant rennais des Marquis de Sade, sont conquis. Conquis aussi par une flamme énigmatique rallumée. Parce qu’il y a autre chose. Le mystérieux qui fait qu’on est happé, qu’on est envoûté. Le jeu physique et le phrasé de Philippe Pascal y sont pour beaucoup mais il y a aussi l’inexplicable synergie d’un groupe, dont les deux têtes ne sont pourtant pas toujours raccord. L’audace de ce retour a de la gueule comme les membres du groupe. Une allure flamboyante. Tout s’est imbriqué ce samedi soir pour le concert superbe d’un grand groupe, dans lequel tout semblait être à sa place, erreurs comprises. Comme un geste parfait.

Grégoire Laville
Photos : Raymond Le Menn

0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie concerts