Bugaled Breizh, 37 secondes, Sang d’encre HermineHermineHermineHermine

En 2004, le chalutier Bugaled Breizh chavire, emportant son équipage. Depuis le drame, les familles se débattent en vain. Leur combat continue alors que le dossier est désormais entre les mains des autorités britanniques. Accident, homicide involontaire ou mensonge d’État ? La justice ne tranche pas. Douze ans après le naufrage, son silence impassible rend les deuils impossibles. Au nom de la vérité, Pascal Bresson et Erwan Le Saëc se sont plongés dans cette affaire à travers le roman graphique, Bugaled Breizh, 37 secondes, des mémoires outre-mer qui mettent enfin les ombres au clair. 


Bugaled Breizh, 37 secondes, Sang d’encre

Avez-vous l’heure ? Non, non, pour une fois ne regardez pas la Lune mais le doigt. Regardez simplement l’aiguille, comme elle file cette trotteuse folle. 

37 secondes. Le temps de lire cet article, le Bugaled Breizh aurait pu couler, quoi ? 4 ? 5 fois ? 

37 secondes. 

Le temps d’un feu rouge, d’un fou rire, d’un premier baiser, d’un dernier soupir et c’est fini. On ne sous-estime pas la mer, mais un chalutier, ça ne s’avale pas comme ça. Toute puissance a ses limites. Même déchaînée, l’eau reste un mur de résistances face à ces corps d’air et d’acier. C’est lent, affreusement lent, le combat loyal des éléments. 

Alors 37 secondes, par temps calme… La mer dit non-coupable, la mer dit pas capable. Mais la mer n’a pas d’avocat et les morts plus de voix pour se défendre.

Délit de fuite

Au mépris des familles et du monde maritime, des victimes surtout, l’enquête sur le drame du Bugaled Breizh patauge lamentablement. On sait désormais qu’il a été accroché et entraîné sous les eaux par une force exogène, mais par qui ? Le délit de fuite porte encore mieux son nom en mer. S’il s’agit, comme tout porte à le croire, d’un sous-marin qui n’avait rien à faire là, on ne s’attend pas à ce qu’il revienne voir les dégâts. C’est à la justice de le mettre devant ses responsabilités, d’assumer enfin les causes du naufrage pour la paix et l’honneur d’un équipage dont ne subsiste que l’armateur, Michel Douce. Bientôt 13 ans que sa vie n’est plus qu’un combat. 

Rappeler à la justice que se taire c’est aussi prendre une position.

Erwan Le Saëc, illustrateur et Pascal Bresson, dessinateur et ici scénariste, ont choisi de retourner l’arme contre l’agresseur en faisant à leur tour parler le silence. Certainement la plus subtile manière de rappeler à la justice que se taire c’est aussi prendre une position. En faisant le choix de ne pas choisir depuis maintenant 12 ans, la justice fait le jeu des coupables et abandonne les victimes, leurs familles et tous ceux que ce drame a chavirés. Alors donnant-donnant. Si la justice est muette, l’art sait l’être aussi. Mais, comme elle, il a le silence fracassant. 

Ce roman graphique de 140 planches retrace la tragique histoire du chalutier des « Enfants de Bretagne » en laissant sa part à la fiction, mais la triviale réalité est au centre de l’histoire et les aspects soigneusement étouffés du drame sont ici abordés sans fard ni tapage, en toute transparence. Documentés aux meilleures sources et auprès de témoins de premier rang, Erwan Le Saëc et Pascal Bresson n’ont rien laissé au hasard et mettent tout leur art au service de la vérité, celle qu’esquisse déjà le dessin de couverture : une ombre qui s’avance, dès le premier plan, parce qu’il est temps de la mettre en lumière.

Un mariage noir et blanc de personnalités hautes en couleur

15 janvier 2004, 12h25. Le chalutier Bugaled Breizh coule. En 37 secondes. Arthus Bossenec, correspondant de presse locale, se retrouve face à l’impossible deuil des familles, à l’incompréhension des locaux, aux incohérences de l’enquête officielle et aux pressions qui ne tardent à se faire sentir. S’enlisant petit à petit entre sa mission impossible et ses démons personnels, Arthus Bossenec sait pourtant qu’il n’a pas le droit de baisser les bras, que la vérité, à tout prix, doit surgir des eaux. 

Le talent de conteur d’un Pêr-Jakez Hélias et les traits à la fois tendres et graves d’un Manu Larcenet; un mariage noir et blanc de personnalités hautes en couleur. Erwan Le Saëc, pudique, laconique, un brin cynique (Brestois, en somme !), et Pascal Bresson, nature enflammée et prolixe, sont d’une complémentarité et d’une complicité surprenantes, et c’est une des clefs de cette réussite. Une bande destinée à s’unir autour de la bande dessinée ! On retrouve un peu de chacun d’eux dans le personnage d’Arthus Bossenec, mais aussi de petites touches personnelles qui ne font qu’accroître l’aspect très réaliste du roman graphique : la maison d’Erwan présente dans le décor, les animaux de compagnie (les vrais !) présents aussi au fil des pages, le Café du Port de Loctudy fidèlement reproduit… C’est un film sur papier à la fois émouvant et digne. On repense à cette petite fille qui met à l’eau un petit Bugaled Breizh en papier, comme une bouteille à la mer vers ce grand-père qu’elle ne verra plus jamais. 

Le combat continue grâce à ces initiatives d’artistes et à l’association SOS Bugaled Breizh, active comme au premier jour. Puisse la vérité émerger enfin des eaux troubles. En attendant, Yves, Jacques, Patrick, Georges, Eric, sachez que nous, on sait. Et qu’on ne vous oubliera jamais.

Pascal Bresson – Erwan Le Saëc – Bugaled Breizh 37 secondes, aux Editions Locus Solus, 144 pages, 20 euros. Disponible en édition bretonne grâce au travail chevronné du jeune Jeremi Costiou.

Pour aller plus loin : si cette affaire vous touche et parce qu’elle nous concerne tous, nous vous conseillons également  la lecture édifiante du livre du cinéaste Jacques Losay, préfacé par Michel Douce, Bugaled Breizh, l’enquête torpillée. 



Bugaled Breizh 37 secondes, Erwan Le Saëc (illustration) et Pascal Bresson (dessin et scénario), aux Editions Locus Solus, 144 pages, 20 euros

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