Ce qui devait être une soudaine avancée dans le procès Fiona est devenue un naufrage. Appelée à témoigner, la médium Julietta a déclaré avoir été « contactée » par la petite Fiona dès le début de l’affaire. En communication avec la défunte, la médium aurait appris où son corps était enterré, fournissant des photos du lieu où elle s’est elle-même rendue. Des photos qui ne disent rien aux deux accusés, Céline Bourgeon et Berkane Makhlouf, mère et beau-père de la victime. Jugés pour « violence ayant entrainé la mort sans intention de la donner » ils pourraient écoper de 30 ans de prison. Ils nient les coups portés à la petite, s’accordent sur ce qui serait « un accident » et ont oublié le lieu exact où ils ont enterré son corps. Ce ne sont pas les déclarations de la médium Julietta, qui avait contacté Me Marie Grimaud, avocate de l’association Innocence en danger, partie civile au procès, qui feront avancer l’affaire. Après un moment de flottement indigné dans le tribunal, on indique à la médium qu’elle a « entravé la justice ». Elle blêmit et s’évanouit. A son retour, dans un fauteuil roulant, elle aura le temps de dire que Me Grimaud savait qu’elle était médium et qu’elle ne voulait pas venir.


Une médium visiblement sincère dans sa certitude d’aider la justice à retrouver le corps de la petite Fiona mais dont les informations s’avèrent fausses, une avocate et un tribunal qui appellent à témoigner cette médium sans contrôle : qu’est-ce que la médiumnité ? Quelles collaborations ont existé entre médiums et services de police ? Que comprennent les autorités à la médiumnité ? Où en est la recherche à son sujet ? Comment la règlementer ? Quelles peuvent en être les explications ?

Le chercheur Yves Lignon, statisticien, fondateur du Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse en 1974, qui applique une démarche scientifique rigoureuse, répond.

Vous avez créé le premier laboratoire de parapsychologie en France en 1974. Vous connaissez bien la médiumnité, les médiums et avez effectué des expériences relatives à leurs facultés. Quel est votre avis sur l’appel à témoigner de cette médium lors du procès Fiona ? Et sur la teneur de son témoignage ?
Que le simple fait de l’appeler à témoigner sans le moindre entretien préalable montre l’ignorance dans laquelle se trouve la Justice (et d’une manière générale les professions à haute responsabilité) de ce qu’est la médiumnité (authentique) et de ce que peut être l’apport d’un médium (authentique) dans le cadre policier ou judiciaire. La prudence s’impose pour au moins deux raisons :

a) Le milieu des personnes qui s’auto-qualifient de médiums est, particulièrement en France, infesté par les escrocs et les charlatans. On trouve aussi dans ce milieu des personnes sincèrement persuadées de posséder des dons hors du commun mais dont les déclarations sont sans fondement scientifique. 

b) Il n’existe pas en France d’organisme institutionnel étudiant scientifiquement la médiumnité et donc capable de dire si une personne qui se présente comme médium possède vraiment des capacités inhabituelles.

Cette médium, appelée à témoigner, a déclaré « avoir été contactée par la petite Fiona au début de l’affaire ». Communiquer avec les morts serait la première faculté des médiums ? Comment peut-on définir brièvement ce qu’est un médium et sa pratique, la médiumnité ? Quelle distinction peut-on percevoir entre médium et voyant ?
La voyance est une forme de médiumnité comme un rugbyman est une sorte de sportif. Scientifiquement parlant, l’usage de qualifier de médiums les guérisseurs, magnétiseurs, radiesthésistes, sourciers… s’est répandu.

Dans le cas précis donc, médiumnité égale voyance et un voyant est un être humain capable d’obtenir des informations sur une cible placée hors de portée de ce sens. Je travaille actuellement sur un projet d’expérience dans laquelle A se déplacera aléatoirement d’un monument parisien à un autre et le voyant V, installé à Toulouse,  aura pour tâche de déterminer l’ordre de passage devant Tour Eiffel, Pyramide du Louvre, Opéra Bastille etc.

Scientifiquement on ne s’intéresse qu’à  la question : le voyant a-t-il trouvé la cible (ici l’endroit où  a été enterrée la petite Fiona) ? En cas de réponse positive, ajouter : « Les informations ont été données par la fillette depuis l’au-delà », c’est proposer une interprétation de type religieux. Une telle interprétation (tout comme : « Merci mon Dieu d’avoir fait enfin pleuvoir après des semaines de sécheresse ») ne peut être ni cautionnée, ni contestée par un scientifique s’exprimant en tant que tel (et non en tant qu’individu lambda). Des recherches scientifiques ne permettront jamais de valider ou de rejeter l’hypothèse de la communication avec les morts parce que cette hypothèse est une interprétation philosophico-religieuse et non une formulation scientifique.

Les charlatans sont-ils nombreux et dangereux selon vous ?
Ils sont hélas nombreux parce que la détresse morale ou psychologique est immense et parce qu’on trouve toujours des humains pour se comporter en loups avec d’autres êtres humains. 

Vous avez effectué des recherches sur la médiumnité liées à vos compétences de statisticien. Quelles ont été vos conclusions ?
Les recherches scientifiques effectuées dans le monde entier depuis 150 ans ont permis d’authentifier l’existence de diverses sortes de capacités médiumniques (du moins selon une partie de la communauté scientifique). 

La médium aurait contacté la police judiciaire à plusieurs reprises, comme d’autres médiums. Quels précédents existent de collaborations entre médiums et police ? Des résultats ont-ils été concluants ?
Il arrive que certains enquêteurs ou magistrats prennent, à titre personnel, la décision de s’adresser à une personne ayant une réputation (méritée ou non) de médium. J’ai moi-même été sollicité à quelques reprises et ai mis en relation des personnes ayant participé à des expériences. Les résultats ont été conformes à ce qui a été observé ailleurs : les médiums apportent des informations exactes et intéressantes mais rarement (je n’écris pas jamais) décisives. Mon exemple le plus spectaculaire : à la demande d’un officier de gendarmerie, une voyante que je connaissais a décrit dans le détail les circonstances très particulières d’un accident d’automobile mais – à la grande déception du demandeur – n’a pu en indiquer le lieu.

Cet appel à témoigner d’une médium lors d’un procès criminel est une première en France. Est-ce déjà arrivé à l’étranger ?
En 1991, dans « La fonction psy »(éditions Robert Laffont), Rémy Chauvin, professeur de biologie à la Sorbonne et fervent partisan de l’authenticité des phénomènes médiumniques, a consacré 20 pages au bilan de ce qui avait alors été fait dans le monde en matière d’utilisation de la médiumnité et des possibilités de celle -ci. En 2012 et 2014, les éditions Trajectoire ont publié les traductions de « L’esprit sans limites » et « Perceptions extra-sensorielles » de Russel Targ, un physicien de Stanford. Ces deux ouvrages expliquent longuement comment des médiums ont pu être utilisés par la police et quels ont été les résultats en s’étendant en particulier sur le cas de l’enlèvement de la riche héritière Patricia Hearst où, une fois encore, les informations données ont été importantes mais non suffisantes. 

Qui a lu ces livres a constaté que les seuls médiums intervenant avaient participé depuis longtemps à des expériences scientifiques (ndlr : et leurs facultés avaient été validées).

N’atteint-on pas avec cette affaire la limite de l’acceptation de ceux qui prétendent avoir des facultés – qu’ils font parfois payer cher- sans aucun contrôle extérieur ?
Absolument.  Il ne faut pas en rester à la situation du procès : on tient compte de ce qu’a dit celui ou celle qui se présente comme médium parce qu’on ne sait jamais… Le risque de gâchis est trop grand, on l’a vu. Malheureusement, dans le cadre d’une enquête policière (et non d’un procès), la pression des personnes impliquées est très forte. Un de mes amis, ancien de la Brigade criminelle, me l’a rapporté souvent.

Si des facultés encore inexpliquées existent donc selon vos conclusions et qu’elles peuvent être utiles à la société collectivement, comme dans des affaires criminelles, comment établir des cadres et des règlementations strictes ?
En adoptant la même attitude qu’aux Etats-Unis : seuls peuvent intervenir des médiums ayant déjà participé avec succès à des expériences scientifiques. Si quelqu’un se présente spontanément on lui demandera, au moins, d’avoir un entretien avec un spécialiste avant d’essayer d’utiliser ses déclarations. 

Une règlementation et des validations devraient également passer par la recherche scientifique. Où en est-on en France sur le sujet ? Et dans le monde anglo-saxon ?
En France toujours rien. Les blocages intellectuels sont bien là et on ne doit pas oublier que si le Laboratoire de Parapsychologie a été une belle aventure il est resté une abbaye de Thélème, une libre association de compétences intervenant bénévolement, que l’université a selon son humeur soutenu ou voué aux gémonies. Dans les pays anglo-saxons les chercheurs sont bien présents (certes pas par régiments entiers ce qui me semble parfaitement compréhensible car il existe des problèmes plus urgents) et l’université d’Edimbourg vient même de proposer un cours : voir le site

Existe-t-il une équipe de chercheurs et/ou de médecins qui ont une démarche purement scientifique, en éloignant tout ésotérisme et tout début de croyance, mais avec des postulats de départ ouverts ?
Il n’y a pas de démarche purement scientifique. Une démarche d’approche de la réalité est scientifique ou pas. Les religions proposent une analyse des faits naturels qui n’a rien de scientifique. Ce constat n’est pas un jugement de valeur. Ce contre quoi je m’élève est le mélange entre scientifique et non scientifique dans le but de valoriser une doctrine de type religieux. Par exemple, prétendre que l’hypothèse de la communication avec les morts à un fondement scientifique.  Mon attitude s’appuie sur ce constat du physicien J. Robert Oppenheimer : « Là où, par le passé, la science a servi à ériger un nouveau dogmatisme ce dogmatisme s’est, à son tour, avéré incompatible avec l’évolution de la science ; et finalement le dogme a cédé ou la science et la liberté ont péri ensemble. »

Selon vous, quelles sont les spéculations qui pourraient mener à élaborer une hypothèse expliquant ces facultés de médiums ?
Dans le monde entier tous les chercheurs s’accordent pour dire qu’il faut se tourner vers la physique moderne la plus avancée pour avoir des pistes d’hypothèses méritant le qualificatif de scientifique.  Je répète cela en faisant confiance aux  spécialistes car je suis moi-même incapable d’explorer ces pistes puisqu’un mathématicien n’est pas un physicien.

Se situe-t-on à l’aube selon vous d’une prise de conscience collective ?
La prise de conscience me semble en tout cas nécessaire sinon on verra encore d’autres  hurluberlus – ayant déjà raconté n’importe quoi dans le passé- accéder à la barre en tant que témoins sans vérification préalable de leurs dires. Et la médiumnité – cette faculté naturelle de l’être humain qui pourrait pourtant être utile – continuera d’être méprisée par les autorités et moquée par une partie des médias tandis que les charlatans s’engraisseront de plus en plus.
Ceci dit, la médiumnité étant devenue un fait social, trouver la réponse aux questions posées par ce fait relève aussi d’une démarche collective.

Grégoire Laville

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Présentation de « Chroniques du Mystère » d’Yves Lignon


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